Pridamant, un père âgé, vient consulter le magicien Alcandre afin de déterminer ce qu'est devenu son fils Clindor, qui depuis longtemps a disparu. Alcandre, grâce à un rituel magique, fait apparaître l'existence de son fils sous les yeux du père : les deux hommes suivent ainsi les diverses aventures de Clindor. Ce dernier finit par tomber amoureux d'une princesse, qui l'aime aussi en retour, mais les hommes du prince les surprennent et les tuent tous les deux. Pridamant est effondré suite à ce dénouement...
ALCANDRE.
Ainsi de notre espoir la fortune se joue :
Tout s’élève ou s’abaisse au branle de sa roue :
Et son ordre inégal, qui régit l’univers,
Au milieu du bonheur a ses plus grands revers.
PRIDAMANT.
Cette réflexion, mal propre pour un père,
Consolerait peut-être une douleur légère ;
Mais, après avoir vu mon fils assassiné,
Mes plaisirs foudroyés, mon espoir ruiné,
J’aurais d’un si grand coup l’âme bien peu blessée,
Si de pareils discours m’entraient dans la pensée.
Hélas ! dans sa misère il ne pouvait périr ;
Et son bonheur fatal lui seul l’a fait mourir.
N’attendez pas de moi des plaintes davantage :
La douleur qui se plaint cherche qu’on la soulage ;
La mienne court après son déplorable sort.
Adieu ; je vais mourir, puisque mon fils est mort.
ALCANDRE.
D’un juste désespoir l’effort est légitime,
Et de le détourner je croirais faire un crime.
Oui, suivez ce cher fils sans attendre à demain ;
Mais épargnez du moins ce coup à votre main ;
Laissez faire aux douleurs qui rongent vos entrailles,
Et pour les redoubler voyez ses funérailles.
(Ici on relève la toile, et tous les comédiens paraissent avec leur portier, qui comptent de l’argent sur une table, et en prennent chacun leur part.)
PRIDAMANT.
Que vois-je ? chez les morts compte-t-on de l’argent ?
ALCANDRE.
Voyez si pas un d’eux s’y montre négligent.
PRIDAMANT.
Je vois Clindor ! ah dieux ! quelle étrange surprise !
Je vois ses assassins, je vois sa femme et Lyse !
Quel charme en un moment étouffe leurs discords,
Pour assembler ainsi les vivants et les morts ?
ALCANDRE.
Ainsi tous les acteurs d’une troupe comique,
Leur poëme récité, partagent leur pratique :
L’un tue, et l’autre meurt, l’autre vous fait pitié ;
Mais la scène préside à leur inimitié.
Leurs vers font leurs combats, leur mort suit leurs paroles,
Et, sans prendre intérêt en pas un de leurs rôles,
Le traître et le trahi, le mort et le vivant,
Se trouvent à la fin amis comme devant.
Votre fils et son train ont bien su, par leur fuite,
D’un père et d’un prévôt éviter la poursuite ;
Mais tombant dans les mains de la nécessité,
Ils ont pris le théâtre en cette extrémité.
PRIDAMANT.
Mon fils comédien !
ALCANDRE.
D’un art si difficile
Tous les quatre, au besoin, ont fait un doux asile ;
Et, depuis sa prison, ce que vous avez vu,
Son adultère amour, son trépas imprévu,
N’est que la triste fin d’une pièce tragique
Qu’il expose aujourd’hui sur la scène publique,
Par où ses compagnons en ce noble métier
Ravissent à Paris un peuple tout entier.
Pierre Corneille, L'Illusion comique, Acte V, scène 5, 1636
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